Trois jours et trois nuits

2 juin 2022

Cet ouvrage collectif, créé à l’initiative de Nicolas Diat, rassemble les témoignages d’une quinzaine d’écrivains contemporains, croyants ou non, qui ont accepté de retranscrire leur expérience vécue au sein de l’abbaye pendant trois jours et trois nuits .

Et ceux ci ont joué le jeu...Participant aux offices de Matines à Complies, ils se sont immergés dans cette petite société "aux antipodes de la nôtre", comme le souligne Pascal Bruckner :

"Le silence en lieu et place du bruit, la frugalité plutôt que l’abondance, la coupure plutôt que la connexion"

"D’abord le silence…qui ne ressemble à aucun autre les enveloppe dès leur arrivée et les invite à un rendez-vous avec soi même", nous témoigne Jean-Paul Enthoven .

Puis le cadre régulier, le rituel, qui pourrait faire craindre l’ennui, se révèle au contraire être "la forme enfin trouvée de l’éternité", poursuit ce dernier.

Et par-dessus tout, le grégorien comme "un gémissement primordial et doux" en dit long sur ce qui en l’homme est plus grand que l’homme…

« Ce n’est pas l’homme, périssable, voué à l’impermanence des choses, à des passions illusoires et à la fugacité des instants qui apparaît ici, mais l’homme éternel »

 renchérit Jean-Marie Rouart

Cet homme éternel, c’est celui que tente de devenir à sa manière l’artiste, dont la création s’apparente à une quête spirituelle et même à une prière.

« Un Baudelaire un Rimbaud mystique à l’état sauvage me semblent avoir adressé les plus belles prières qui soient » nous dit encore l’Académicien.

Cet univers de calme et de beauté n’empêche pas néanmoins les questions…celles que se pose par exemple Thibault de Montaigu, tellement admiratif de "ces derniers héros, les seules braves d’une civilisation mourante, empoisonnée par l’ego et l’hédonisme marchand" :

"Qui de nos jours est encore capable de s’oublier soi même pour embrasser un destin qui les dépasse ?… Mais une fois les lumières éteintes, ne tremblent-ils pas devant la nuit éternelle ?"  se demande-t-il .

Il se rassure en pensant que Saint Augustin, leur saint fondateur, ayant lui-même tellement longtemps erré dans les ténèbres, ne manquera pas de les guider sur cette voie étroite…

Et puis ceux-ci ne sont jamais seuls, eux dont la diversité les rapproche "d’une légion étrangère des âmes" : la solidarité spirituelle, appelée de ce beau nom de communion des saints est toujours à l’œuvre au-delà du temps et de l’espace.

« Nul novice ne s’avance seul vers Dieu. Ils sont des milliers et des milliers qui l’accompagnent dans l’église où ils s’allongent face contre terre au moment de se consacrer au Christ. »

Questions d’un côté, tentation de fuir de l’autre. Celle qu’éprouve Frédéric Beigbeder pourtant fasciné par la beauté et le mystère, mais dont la vie dissolue lui revient en boomerang dans ce qu’il appelle lui-même

"ce refuge des âmes blessées."

L’enfant prodigue ne semble pas si loin pourtant, quand il évoque ce besoin de génuflexion qui le pousse à prier pour ces Français qui « errent sans but à l’extérieur de cette enceinte sainte ».

Et de conclure : "penser à ces âmes agenouillées m’aide à tenir debout."

Même touchante émotion quand on lit le témoignage de Boualem Sansal qui, empêché de venir pour cause de Covid, a tenu néanmoins à apporter sa contribution à cet ouvrage.

« Je suis athée et je le regrette » commence-t-il par dire, et il poursuit ; "Je suis athée par désespoir, par impuissance, par fatalisme" . Et pourtant il est sûr que le chemin de la vérité et de la vie existe…. Il veut croire qu’"il est possible de rallumer le feu sacré."

Car, pense-t-il avec raison :

« les athées désespérés comme moi sont au fond de grands croyants, à tout le moins des chercheurs tenaces de sacré et de vérité. »

Du coup, on se prend à prier pour celui qui signe Frère Boualem Sansal, athée en recherche de Dieu, quand il s’écrie : "j’ai peur de mourir orphelin". Mais on a confiance avec lui quand il affirme aussitôt : "Dieu aime les orphelins."

En définitive, conclut le supérieur de la communauté :

"le dialogue avec les écrivains s’est fait sur le terrain de la beauté ; la beauté en effet sait communiquer plus immédiatement par intuition et vibrations : les cœurs, les sensibilités, les intelligences même se rejoignent alors rapidement et à un niveau élevé".

Ce recueil prouve que la littérature est et doit rester un appel à l’absolu, à la transcendance ; que la culture peut encore s’épanouir en désir d’éternité.

Ainsi, dans ce monde sombre, cet ouvrage apparaît comme un formidable signe d’espérance.